Consensus formalisé: recommandations de pratiques cliniques pour la prise en charge de la lombalgie aiguë du patient africain

23/07/2020   Info-Santé   1664   med.tn

Consensus formalisé: recommandations de pratiques cliniques pour la prise en charge de la lombalgie aiguë du patient africain
Mohamed Elleuch
1, Abdellah El Maghraoui2, Brahim Griene3, Mati Nejmi4,&, Souhaibou Ndongo5, Alain Serrie6

 

1Hôpital La Rabta, Tunis, Tunisie, 2Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed V, Rabat, Maroc, 3Centre Pierre et Marie Curie d’Alger, Algérie, 4Hôpital

Cheikh Khalifa Bin Zayed, Casablanca, Maroc, 5Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal, 6Hôpital Lariboisière de Paris, France

 

&Corresponding author: Mati Nejmi, Hôpital Cheikh Khalifa Bin Zayed, Casablanca, Maroc

 

Key words: Lombalgie aigüe, Afrique, Recommandation

 

Received: 05/10/2015 - Accepted: 26/10/2015 - Published: 13/11/2015

 

Abstract

La lombalgie aiguë est la pathologie rhumatismale la plus fréquente en Afrique. L'épidémiologie et la présentation clinique ne diffèrent pas de celles observées sur les autres continents. En revanche, les aspects psycho-sociaux, la disponibilité des traitements, l'accès aux soins et le poids culturel des médecines traditionnelles sont autant de spécificités qui ont conduit à la réalisation du 1er consensus d'experts en rhumatologie pour la prise en charge du patient africain. Destiné aux praticiens, ce travail collaboratif multinational a pour objectif de fournir 11 recommandations de pratiques cliniques simples, fondées sur les preuves, et adaptées aux conditions de l'exercice médical en Afrique. Leur ambition est d'améliorer la prise en charge de la lombalgie aigue par une évaluation initiale clinique pertinente, une diminution des examens radiologiques inutiles, une prescription médicamenteuse adéquate et l'abandon de procédures invasives inappropriées.

 

Pan African Medical Journal. 2015; 22:240 doi:10.11604/pamj.2015.22.240.8120

 

This article is available online at: http://www.panafrican-med-journal.com/content/article/22/240/full/

 

© Mohamed Elleuch et al. The Pan African Medical Journal - ISSN 1937-8688. This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (http://creativecommons.org/licenses/by/2.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.

Introduction

 

La lombalgie est une douleur ou gêne fonctionnelle située entre la douzième côte et le pli fessier, associée ou non à des irradiations dans les membres inférieurs. Elle est typiquement classifiée selon sa durée: les six premières semaines correspondent à la période de lombalgie aiguë, entre six et douze semaines la lombalgie est dite subaiguë, et au-delà, la lombalgie est dite chronique ou persistante [1].   Plus   d'une   trentaine   de   recommandations   relatives   au diagnostic et à la prise en charge des lombalgies ont été publiées au cours des 20 dernières années [2,3]. Elles sont globalement concordantes, illustrant l´absence de nouveaux éléments de preuve montrant de meilleurs résultats avec de nouvelles approches diagnostiques   et   thérapeutiques   et/ou   de   nouvelles   preuves montrant l´inefficacité des interventions existantes. La diffusion des recommandations cliniques et leur application par les professionnels de la santé demeure un problème significatif. Comprendre pourquoi les médecins ne les suivent pas est un prérequis pour améliorer cette situation. En effet, la multiplicité des recommandations et le manque de temps sont les facteurs principaux dans leur non application. Une revue des travaux scientifiques réalisés ces 20 dernières années permet de faire une mise au point et d'améliorer l'implémentation de ces recommandations.

Méthodes

Ces recommandations ont été' élaborées par la méthode du consensus formalise', de type Delphi-modifié, décrite par la Haute Autorité de Santé (HAS) française [4]. Elle a reposé, d'une part, sur l'analyse et la synthèse critiques de la littérature médicale disponible (PubMed), et, d'autre part, sur l'avis et les données non publiées d'un  groupe  de  16  rhumatologues  pratiquant  sur  le  continent africain qui a réalisé une cotation en deux tours des propositions de recommandations établies par le groupe de pilotage.

Etat actuel des connaissances

La démarche diagnostique

 

Recommandation #1 - Accord professionnel fort

 

Devant une lombalgie aiguë, l'évaluation de la douleur doit être accompagnée d'un examen clinique complet et bien


conduit à la recherche de signes de gravité ('red flags') évoquant une étiologie grave sous-jacente ou un risque de complications

 

Dans les pays occidentaux, environ 70 à 85% des adultes souffrent au moins une fois au cours de leur vie d'un épisode de lombalgie. Pour la plupart, le premier épisode survient entre 20 et 40 ans et constitue ainsi la première raison de consulter à un âge adulte. La prévalence annuelle se situe autour de 30% et la prévalence ponctuelle autour de 20% [5]. Cette différence reflète probablement la nature instable et épisodique de la lombalgie. Par ailleurs, la prévalence est variable en fonction de l'âge avec un maximum entre

40 et 60 ans. Les facteurs de risque de la lombalgie aiguë les plus

fréquemment cités dans la littérature sont en rapport avec une mauvaise hygiène posturale. Ainsi, le port, le levage, le tirage et la poussée de charges lourdes, la flexion du tronc de plus de 60°, les mouvements de torsion, le travail répétitif, les positions statiques et les vibrations sont les plus retrouvés. La douleur survient brutalement, en général après un effort brusque ou inhabituel. Elle entraîne une contracture reflexe des muscles du dos, qui bloquent les mouvements à ce niveau douloureux. Le lumbago (trouble musculo-squelettique) est la cause la plus fréquente de lombalgie aigue : il dure en général quelques jours, mais tend à récidiver dans

1/3 des cas. Ces douleurs récurrentes peuvent persister au cours des deux premières années, avec des douleurs modérées à sévères respectivement de 15 à 30% [6]. Dans les pays africains, l'épidémiologie semble tout à fait comparable, même si les études sont rares [7,8]. Les lombalgies représentent ainsi la première cause de consultation en rhumatologie et un des motifs les plus fréquents de consultation en médecine générale [9]. Généralement, on distingue deux types de lombalgies. Les lombalgies spécifiques (ou symptomatiques) présentent des symptômes clairement identifiés (infection, tumeur, fracture, etc.). A l'inverse, les lombalgies non spécifiques (ou communes) sont en rapport avec des lésions dégénératives bénignes du rachis ou n'ont pas de cause identifiable précise. Elles représentent 85 à 90% des cas [10,11]. Une approche pratique d'évaluation est de se focaliser sur l'histoire de la maladie et de procéder à un examen clinique pour préciser ou non la probabilité d'une pathologie sous-jacente et de mesurer la présence et le niveau d'une participation neurologique [12]. Il est aussi important de noter s'il s'agit d'un premier épisode ou récurrent. Les épisodes  récurrents  sont  en  général  plus  douloureux.  Cette approche permet une classification pertinente des patients et améliore la prise en charge en fonction des données retrouvées. Pour affiner le diagnostic et la prise en charge initiale, il est essentiel

de rechercher les signes d'alerte ('red flags') d'une éventuelle cause symptomatique (Tableau 1) [13,14]. Ces signes de gravité doivent attirer l'attention du clinicien qui va alors réaliser des examens complémentaires qui lui permettront de poser un diagnostic précis et donc de proposer un traitement adapté. Ils sont utilisés pour faire la distinction entre un épisode commun bénin et un problème plus important  qui  nécessite  une  prise  en  charge  et  un  traitement urgent.

Recommandation #2 - Accord professionnel fort

 

Les facteurs de risque de chronicisation ('yellow flags'), notamment les croyances, les aspects sociaux et environnementaux du patient africain, doivent être répertoriés dès le début de la prise en charge.

 

Environ 2 à 7% des patients lombalgiques passeront à la chronicité [1],  dont  les  facteurs  de  passage  sont  essentiellement psychologiques mais également environnementaux et sociaux [15]. Ces indicateurs doivent être recherchés et limités lorsque cela est possible dès la phase de prise en charge initiale. Les facteurs psychosociaux augmentent le risque de développer, ou de perpétuer une lombalgie chronique et une invalidité à long terme, y compris la perte d'emploi. Qualifiés de « yellow flags » ou « drapeaux jaunes

», ces facteurs de risque de chronicisation peuvent revêtir de nombreuses formes (Tableau 2) [16-18]. Les principaux indicateurs de risque de passage à la chronicité sont représentés par un état dépressif, l'isolement, la peur de se faire mal, une insatisfaction au travail, des tâches physiques lourdes, un faible soutien social, du stress et une douleur intense. Il est nécessaire d'agir sur ces éléments lorsque cela est possible. Les facteurs émotionnels et la détresse émotionnelle doivent être évalués car ils sont d'aussi forts prédicteurs des résultats de la prise en charge de la lombalgie aigue que ceux de l'examen physique ou la sévérité et la durée de la douleur. L'évaluation des facteurs psychosociaux permet d'identifier les patients susceptibles d'avoir une récupération retardée et nécessitant une aide ciblée. Une récente publication révèle que l'association de comorbidités à la lombalgie, notamment cardiovasculaires, a un impact plus important sur l'exercice professionnel que le mal de dos isolé. Ainsi, la recherche de comorbidités doit, elle aussi, faire partie des facteurs pronostiques à rechercher [19]. Dans certains pays d'Afrique, il n'est pas rare que les maladies rhumatismales soient assimilées a' un mal d´origine métaphysique tel que le mécontentement d'un ancêtre défunt, un sort  jeté'  par  des  esprits  maléfiques,  un  ensorcellement  ou un 

envoutement. Cette conception ne semble pas influencée par le niveau d´instruction et s´observe aussi chez les patients ayant un niveau  d´instruction  élevé'.  La  prise  en  compte  de  ces considérations est d'un grand intérêt dans la mesure ou' elle fait partie intégrante de la prise en charge globale du patient d'une part, et, d'autre part, elle explique souvent le recours à des médecines traditionnelles dont il faut comprendre l'importance pour rendre la stratégie thérapeutique 'rationnelle' plus acceptable par le patient.

 


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