Membres du comité de relecture et de cotation
Pr Mourad Derguini, Professeur en gynécologie-obstétrique, Président du comité médical national de gynécologie- obstétrique, Président de la société algérienne de méno- pause, Alger (Algérie); Pr Nadia Fellah, Chef de département d’anesthésie-réanimation, Chef de service du centre de traitement de la douleur, Centre Hospitalo-Universitaire Bab El Oued, Alger (Algérie); Dr Ilyes Ouali, membre du bureau de la SAGO, Membre du bureau du Conseil de l’Ordre, Alger (Algérie); Pr Adib Filali, Professeur en gynécologie-obstétrique à la maternité des Oranger, Rabat (Maroc); Pr Samir Bargach, Chef de service de gynécolo- gie obstétrique cancérologie et grossesses à haut risque maternité Souissi Rabat (Maroc); Pr Mohamed Elkarroumi, gynécologue-obstétricien, Casablanca (Maroc); Dr Dalenda Chelli, Professeur en gynécologie-obstétrique, Centre de maternité de Tunis (Tunisie); Dr Armel Mapoukou, gyné- cologue obstétricien, Hôpital Central des Armées de Brazzaville (Congo); Pr Robinson MBU, Professeur titulaire de gynécologie et obstétrique, Directeur de la Santé Familiale, Ministère de la Santé Publique, Yaounde (Cameroun); Pr Jean Lankoande, gynécologue obstétricien, Chef de dépar- tement UFR/SDS Université Ouagadougou (Burkina Faso); Dr Marie Edouard Faye Dieme, gynécologue, Clinique gynéco- logique et obstétricale du CHU Aristide le Dantec, Dakar (Sénégal); Pr Serge Boni, Professeur titulaire de gynécologie- obstétrique, Chef du département mère-enfant et Chef du département de gynécologie-obstétrique du CHU de Cocody, Abidjan (Côte d’Ivoire); Pr Namory Keita, Chef de service de gynécologie et d’obstétrique, CNH de Donka, Conakry (République de Guinée).
État actuel des connaissances
Physiopathologie, épidémiologie et facteurs de risque
La physiopathologie de la dysménorrhée reste encore mal connue. Puisque la dysménorrhée n’existe pas avant la ménarche et disparaît à la ménopause, plusieurs théo- ries ont tenté d’expliquer l’apparition des phénomènes douloureux au cours de l’activité génitale [4]. La théo- rie spasmodique attribue la douleur aux modifications du taux de progestérone pendant le cycle menstruel. La chute de la progestérone avant les règles permet d’avoir une bonne ouverture cervicale facilitant l’extériorisation du sang menstruel, et un retard à l’ouverture serait respon- sable d’une rétention douloureuse [5]. La théorie congestive a été évoquée chez les femmes ayant, ou ayant eu, des pro- blèmes infectieux, des troubles de la statique pelvienne plus ou moins associés à des facteurs de stase pelvienne comme la constipation ou la station debout [4]. Enfin, la théorie ischémique a été proposée, avec laquelle toute anomalie responsable d’une ischémie utérine entraînera une difficulté à l’évacuation du sang menstruel [6]. En fait les méca- nismes de la douleur dans la dysménorrhée sont complexes et feraient intervenir plusieurs facteurs.
Au cours du cycle menstruel, la contractilité du myo- mètre baisse au début de la phase folliculaire, s’élève progressivement jusqu’à 60 mmHg en période ovulatoire, puis diminue en phase lutéale. En plus de ce niveau « de base », se greffent des contractions variables en inten- sité et en fréquence, dont le maximum d’intensité sera atteint pendant la menstruation (égal à 120 mmHg) avec une fréquence de 2 à 4 par minute et une durée de
30 à 60 secondes. Cette contractilité myométriale est aug- mentée au cours de la menstruation chez les femmes dysménorrhéiques (150 mmHg) avec une fréquence accrue des contractions, associée à une dysrythmie. La douleur apparaissant autour de 150 mmHg serait liée à la fré- quence des contractions et l’absence de retour au tonus de base corollaire d’une ischémie myométriale. Les facteurs responsables de cette hypercontractilité sont probable- ment une perturbation du rapport entre les différentes
prostaglandines locales, elles-mêmes réduites par d’autres facteurs cervicaux, endocriniens ou psychiques [6].
Le flux sanguin utérin a également été impliqué dans les mécanismes de la douleur. Le groupe d’Akerlund a en effet analysé concomitamment le flux menstruel et la pression intra-utérine [7]. Chez les femmes dysménor- rhéiques, durant chaque contraction, une diminution du flux menstruel apparaît de fa¸con simultanée avec une crise dou- loureuse à type de colique utérine. Quand le flux sanguin est assez élevé, les douleurs sont modérées. À l’inverse, lorsqu’il est bas les patientes ont une douleur intense. Quand cette équipe injecte par voie intraveineuse 250 1-g de terbutaline (13-2 mimétique), l’utérus est totalement relâ- ché et est associé à une augmentation du flux sanguin et une disparition complète de la douleur.
Les mécanismes nerveux permettent d’expliquer la régression, voire la disparition des douleurs menstruelles après une grossesse menée à terme [7]. En revanche, il ne s’agit pas du simple fait de l’état de grossesse puisque la dys- ménorrhée ne disparaît pas après une fausse couche ou une interruption volontaire de grossesse du premier trimestre [6]. Cela suggère que l’innervation utérine est totalement remaniée et altérée par la grossesse [8]. C’est à partir de cette hypothèse que certains auteurs ont proposé de réaliser une dénervation de l’utérus par neurectomie présacrée par laparotomie autrefois et plus récemment par cœlioscopie [6].
Enfin, les prostaglandines pourraient avoir un rôle impor- tant dans les dysménorrhées. Au moment des menstruations, les prostaglandines sont produites à partir des acides gras essentiels relargués par les membranes cellulaires des cellules endométriales. Les prostaglandines sont augmen- tées dans l’endomètre des femmes dysménorrhéiques [6]. Il semblerait que l’augmentation du taux de production locale, voire général, des prostaglandines soit respon- sable de la douleur, plus qu’une sensibilité myométriale aux prostaglandines [6]. Les métabolites de l’acide ara- chidonique (les endopéroxydes) ont également une action antalgique puissante [8]. Au moment des règles chez les femmes dysménorrhéiques, il existe une transformation incomplète en prostaglandine avec accroissement du taux d’endopéroxydes locaux. Les prostaglandines PgF2 et les PgE2 ont un pouvoir de sensibilisation des fibres nerveuses (en augmentant les médiateurs comme l’histamine et la bradykinine) à des stimuli mécaniques ou chimiques [6]. Au moment de la menstruation, la sensibilité de la plaie muqueuse est ainsi accrue. La chute du taux circulant de progestérone déclenche une activité lytique qui entraîne la production de phospholipides. Celle-ci produit de l’acide arachidonique et active la voie de la cyclo-oxygénase. Ces prostanoïdes produits en excès induisent un tonus utérin élevé et des vagues de contractions de grande amplitude responsables de l’algoménorrhée [8].
Recommandation #1 — Accord professionnel fort
Une dysménorrhée primaire essentielle doit être fortement suspectée chez toute adolescente dont la ménarche (premières règles) est d’apparition précoce, dont les douleurs menstruelles sont récurrentes et qui présente des antécédents familiaux de dysménorrhée.
L’épidémiologie de la dysménorrhée varie de fa¸con importante en fonction des études. Une prévalence plus importante est retrouvée chez les femmes jeunes (17—24 ans), dont 67 % à 90 % se plaignent de ce pro- blème [5]. Cette proportion atteint même 93 % chez les adolescentes australiennes [1]. Les résultats obtenus chez les femmes adultes sont moins pertinents, avec des taux variant entre 35 % et 75 % [4].
Aux États-Unis, une vaste étude épidémiologique amé- ricaine portant sur 7000 adolescentes a recensé 59,7 % de dysménorrhées, entraînant 25 % d’absentéisme scolaire [6].
Dans le contexte africain, les rares données épidémio- logiques sont résumées ci-après. Au Maghreb, la fréquence des dysménorrhées est très importante. Au Maroc, une étude épidémiologique a évalué la prévalence de la dysménorrhée et les facteurs influen¸cant sa survenue chez 502 adoles- centes âgées de 15 à 19 ans. Les résultats indiquent une prévalence de 65,34 %, qui augmente entre 18 et 19 ans1 . Elle est significativement associée à l’âge de la ménarche et à la durée des règles, mais sans association avec la régu- larité du cycle. La dysménorrhée survient généralement après la 1re année post-ménarchale (56,40 %), elle est de siège souvent hypogastrique (84,45 %) et elle débute sou- vent avec l’écoulement menstruel. Dans 48,76 % des cas, la dysménorrhée survient de fa¸con régulière. Cette étude indique également que chez 66,77 % des adolescentes, des antécédents familiaux de dysménorrhée sont retrouvés. Les dysménorrhées sévères ont été notées chez 29,27 % des adolescentes avec un taux non négligeable d’absentéisme scolaire (29,88 %). L’absence de la prise en charge thérapeu- tique a été constatée dans 1/3 des cas avec une tendance à l’automédication.
En Egypte, environ 75 % des élèves ont connu une dysmé- norrhée (55,3 % légère, 30,0 % modérée, sévère 14,8 %) et
34 % ont l’habitude de s’automédiquer [9].
Au Mali, une étude réalisée à Bamako au centre de santé de référence a fait apparaître une prévalence de
35,31 %, parmi les 606 patientes adolescentes qui se sont présentées en consultation2 . Au total, 76,2 % étaient des dysménorrhées primaires. Dans cette étude, la fréquence des dysménorrhées sévères est doublée en présence de fac- teurs psychologiques (2,8 % contre 1,4 %). En Ethiopie, sur les
440 participantes de l’étude, 368 ont rapporté une dysmé- norrhée (85,4 %). Au total, 18,8 % des patientes ont rapporté une dysménorrhée sévère [10]. Au Nigeria, la prévalence de la dysménorrhée s’élève à plus de 72,3 % [11].
Deux facteurs de risque de dysménorrhée ont été clai- rement mis en évidence: les antécédents familiaux de dysménorrhée et la survenue de la ménarche avant l’âge de 13 ans [2]. D’autres facteurs ont également été incrimi- nés mais sont encore débattus à l’heure actuelle. Il s’agit de l’âge, du milieu socioculturel, de l’environnement éco-
1 Wadifi H. Dysménorrhées: enquête épidémiologique auprès des adolescentes lycéennes de Casablanca (à propose de 502 cas): uni- versité Hassan II, faculté de médecine et de pharmacie, Casablanca;
2004.
2 Dembele KA. La dysménorrhée chez l’adolescente: aspects cli- niques et thérapeutiques au centre de santé de référence de la commune V du district de Bamako (à propos de 214 cas): université de Bamako; 2006.
nomique, de l’origine ethnique, du profil psychologique ou encore du tabagisme [2].
Explorations, diagnostic positif et diagnostics différentiels
Recommandation #2 — Accord professionnel fort
En présence d’une dysménorrhée primaire ou secondaire, l’interrogatoire doit rechercher précisément les caractéristiques de la douleur, généralement protoméniale, de courte durée, et sans irradiation particulière.
Recommandation #3 — Accord professionnel relatif
En dehors de l’inspection de l’appareil génital externe à la recherche de malformation, l’examen gynécologique n’est pas systématique chez une adolescente présumée vierge dont la douleur a tous les caractères d’une dysménorrhée essentielle légère à modérée.
Recommandation #4 — Accord professionnel relatif
L’efficacité habituelle du traitement médical constitue un test diagnostique et thérapeutique.
Recommandation #5 — Accord professionnel fort
L’examen gynécologique est indispensable quand l’interrogatoire oriente vers une dysménorrhée organique et garde son utilité chez une femme en période d’activité génitale, non vierge, en raison de la possibilité de découvrir fortuitement d’autres pathologies gynécologiques.
La stratégie diagnostique d’une dysménorrhée est essen- tiellement basée sur l’interrogatoire, qui doit être ciblé et pertinent. Le Tableau 1 rappelle les principales questions à poser à la patiente. L’examen clinique et les examens complémentaires ont peu d’intérêt dans cette situation. En effet, l’examen clinique est souvent normal dans la dysmé- norrhée essentielle, des malformations uro-génitales étant rarement retrouvées. Son intérêt est nul chez l’adolescente sans aucun antécédent gynécologique notable. À l’inverse, l’examen clinique doit être rigoureux et pratiqué chez la femme avec une dysménorrhée secondaire apparaissant avec un tableau inflammatoire infectieux de dyspareunie ou de ménorragie (adénomyose). Ainsi le toucher vaginal va permettre de préciser la sensibilité des culs-de-sac, les masses latéro-utérines, deux gros ovaires douloureux (dys- trophie ovarienne) ou un utérus globuleux et douloureux (adénomyose).