Interrogatoire à mener face à une dysménorrhée [2].
Âge de la patiente? Stable ou évolutive?
La dysménorrhée primaire apparaît à l’adolescence dans les mois suivants les premières règles. En général, elle répond aux anti-inflammatoires non stéroïdiens. Elle s’atténue au bout de quelques années, voire elle disparaît à la première grossesse. Si elle s’aggrave, il faut penser à une malformation génitale ou une endométriose, même chez l’adolescente
Dysménorrhée secondaire? Une dysménorrhée secondaire apparaît à distance de la puberté. Elle accompagne le plus souvent un trouble du cycle (ménorragie) et est le reflet d’une certaine affection gynécologique (adénomyose, endométriose externe et fibrome remanié)
Quelle intensité? Intensité variable de la simple pesanteur à la douleur intense, résistant aux antalgiques classiques, et invalidante à l’origine de l’absentéisme. De siège en général hypogastrique, pelvienne pouvant irradier vers la région lombaire, périnéale,
cruro-inguinale et parfois vers les membres inférieurs. L’étendue de l’irradiation est généralement proportionnelle à l’intensité de la douleur
Quels signes d’accompagnement?
Caractéristiques du flux menstruel
En début ou en fin de règles?
Ils sont fréquents dans la dysménorrhée essentielle et sont à type de signes digestifs: nausées, vomissements, diarrhées témoignant d’une vagotonie réflexe. Des migraines peuvent parfois s’y associer
Une dysménorrhée secondaire s’accompagne d’une anomalie quantitative ou qualitative du flux menstruel. Ainsi, une femme de plus de 40 ans présentant des douleurs avec des ménorragies doit évoquer une adénomyose
La chronologie de la douleur par rapport à l’apparition du flux menstruels est importante: préméniales: précédant de 12 à 24 h les règles et disparaissant après l’écoulement frais. Ces caractéristiques correspondent en général aux dysménorrhées essentielles; téléméniales: apparaissant aux 2e ou 3e jours des règles. Elles orientent vers une endométriose (surtout adénomyose)
Recommandation #6 — Accord professionnel relatif
Les examens complémentaires sont inutiles chez une adolescente ou une femme jeune dont la douleur à tous les caractères d’une dysménorrhée essentielle.
L’échographie pelvienne peut être réalisée secondaire- ment devant une dysménorrhée primaire essentielle résis- tante aux traitements médicaux. Par ailleurs l’échographie pelvienne a son intérêt dans l’exploration des dysménor- rhées secondaires à la recherche d’un utérus myomateux, d’une adénomyose, d’une masse annexielle, d’une dystro- phie ovarienne ou d’une endométriose.
L’IRM est contributive devant une échographie non concluante pour le diagnostic d’une adénomyose, d’une endométriose (cartographie) ou d’un kyste ovarien complexe.
La cœlioscopie est demandée en dernière intention à visée diagnostique pour mettre en évidence des patholo- gies passées inaper¸cues aux différents examens d’imageries, telles que les états inflammatoires ou les endométrioses. Par ailleurs, elle peut être opératoire dans certaines pathologies organiques.
L’hystérographie est un examen invasif ayant peu d’intérêt sauf dans de rares cas d’adénomyoses.
Recommandation # 7 — Accord professionnel relatif Les adolescentes présentant une dysménorrhée au cours des 6 premiers mois suivant les premières règles et d’intensité progressivement croissante doivent être adressées à un gynécologue pour rechercher une
malformation utérovaginale.
Une dysménorrhée primaire est le plus souvent essen- tielle. Elle est fréquemment retrouvée chez des jeunes filles sans antécédent gynécologique, ni pathologie pelvienne. Dans ce cas, l’examen clinique est pauvre, et la réponse au traitement médical anti-inflammatoire et/ou œstroproges- tatif est bonne. En revanche, une dysménorrhée primaire apparue dès les premiers cycles et d’intensité progressi- vement croissante doit faire redouter une malformation utérovaginale. L’endométriose juvénile est une entité rare, mais son diagnostic doit être évoqué devant la résistance aux traitements habituels. Le diagnostic étiologique est résumé dans l' annexe 2.
Recommandation # 8 — Accord professionnel fort
Le diagnostic de dysménorrhée secondaire organique doit être envisagé lorsque les symptômes apparaissent à la suite de nombreuses années de règles indolores.
Les causes de la dysménorrhée secondaire orga- nique sont nombreuses (adénomyose, endométriose, utérus fibromateux. . .). L’endométriose externe est la cause la plus fréquente et de diagnostic souvent tardif, dans un contexte de dyspareunie et d’infertilité. Son traitement est médi- cochirurgical. L’adénomyose, apparaît chez des femmes multipares au-delà de 40 ans. La pathologie fibromateuse, entraîne des douleurs à type de pesanteurs pelviennes ou de douleurs vives si remaniement histologique. Le stéri- let peut être en cause, en rapport avec une infection pelvienne ou une mauvaise insertion utérine. Les sté- noses cervicales totales ou partielles après la conisation du col sont à l’origine de la gêne de l’évacuation des règles.
Recommandations de pratiques cliniques pour la prise en charge de la dysménorrhée
Annexe 2: Diagnostic différentiel de dysménorrhée pri- maire [17].
Recommandation #10 — Accord professionnel relatif
En cas de contre-indication ou d’efficacité
Dysménorrhée secondaire
Autres causes de douleur
Apparition soudaine de dysménorrhée
Endométriose
Adénomyose Myomes utérins Polypes endométriaux Sténose cervicale
Malformations obstruant le tractus génital
Syndrome inflammatoire pelvien chronique
Adhérences pelviennes Syndrome du côlon irritable Affection abdominale inflammatoire
Cystite interstitielle
Syndrome inflammatoire pelvien
Avortement spontané ou grossesse ectopique méconnue
insuffisante des AINS chez une jeune femme ayant terminé sa croissance, un œstroprogestatif oral minidosé est recommandé en cycles continus ou séquentiels. Ce traitement hormonal peut être proposé en 1re intention en cas de souhait d’une contraception chez une jeune femme de plus de
18 ans.
Recommandation #11 — Accord professionnel relatif
En cas de contrôle insuffisant de la douleur, un œstroprogestatif peut être administré en cycles prolongés pendant 9 semaines consécutives suivies d’une semaine d’interruption.
Les contraceptifs oraux (en cycles mensuels ou en cycles prolongés) sont une autre possibilité en cas d’efficacité insuffisante ou de contre-indication aux anti-inflammatoires non stéroïdiens. Si la femme souhaite une contracep-
Prise en charge médicamenteuse
Recommandation #9 — Accord professionnel fort
Devant un tableau de dysménorrhée primaire essentielle, et en l’absence de contre-indications, un AINS doit être proposé en 1re intention, dès l’apparition des premiers symptômes des règles, pendant 2 à
3 jours.
Les femmes présentant une dysménorrhée primaire devraient se voir prescrire des AINS à titre de traitement de première intention pour le soulagement de la douleur et l’amélioration de la capacité à entreprendre les activités de la vie quotidienne (sauf si l’utilisation de ces AINS est contre-indiquée dans leur cas) [12].
Les études comparatives disponibles ne permettent pas de conclure à la supériorité d’un AINS en particulier [13]. En revanche, s’il faut en choisir un, il est préférable de prescrire un générique comme l’ibuprofène 400 mg 4 fois par jour, le naproxène 275 mg 4 fois par jour, le kétopro- fène 50 mg 3 fois par jour, ou encore l’acide méfénamique
250—500 mg 4 fois par jour.
Dans tous les cas, il convient d’être attentif au risque d’effets indésirables des AINS, tels que l’ulcération et l’hémorragie gastro-intestinales. Il est important que les femmes prenant des AINS soient avisées de la nécessité de les prendre avant les règles, et pendant les repas [13].
Un traitement par un AINS doit être régulier de deux à trois jours, administré de préférence un à deux jours avant les menstruations [13].
Les AINS ont été significativement plus efficaces que le paracétamol et le placebo, leur mécanisme d’action étant double par leur action anti-prostaglandine au niveau de l’endomètre, et par action directe sur le système nerveux central [13].
tion, ils peuvent même devenir le traitement de première intention [12]. Récemment, une étude randomisée contrô- lée par placebo a montré une diminution significative de la douleur et de l’utilisation d’analgésiques chez les femmes prenant un contraceptif oral à base de 0,02 mg d’éthinylestradiol et de 0,1 mg de lévonorgestrel [14]. En cas de contrôle insuffisant de la douleur, les œstroprogestatifs peuvent être administrés en cycles prolongés (c’est-à-dire pendant 9 semaines consécutives suivies d’une semaine d’interruption) dans le but de diminuer la fréquence des menstruations.
Afin de ne pas interférer avec la maturation de l’axe hypothalamohypophysaire, il paraît prudent d’attendre
2 ans après la ménarche avant d’instaurer une contraception orale [15].
Il a été démontré que Depo—Provera et Mirena s’avéraient efficaces dans la prise en charge de la dysmé- norrhée. Ils peuvent donc être envisagés à titre d’options de traitement dans la prise en charge de la dysménorrhée primaire [12].
Il est important de souligner que plusieurs patientes qui affirment que les contraceptifs oraux sont inefficaces ne les ont pas utilisés assez longtemps pour en tirer l’effet maximal en matière de soulagement de la douleur [14].
Prise en charge non médicamenteuse et aspects psychosociaux
Recommandation # 12 — Accord professionnel relatif
L’évaluation et la prise en charge psychosociale est souhaitable chez toute patiente présentant une dysménorrhée essentielle associée à un état de stress.
Recommandation #13 — Accord professionnel relatif
La pratique d’une activité physique et/ou sportive a des effets bénéfiques sur les dysménorrhées essentielles et doit systématiquement être recommandée.
Les mesures non médicamenteuses sont importantes en Afrique au vu de la difficulté d’accès aux médicaments, l’insuffisance du pouvoir d’achat, la disponibilité des plantes médicinales et l’ampleur des faux médicaments. La stimu- lation nerveuse électrique transcutanée, la réduction du stress, les exercices physiques, l’utilisation de plantes médi- cinales et la formation dans les écoles sont des mesures qui méritent d’être discutées dans le contexte africain.
La réduction du stress peut être considérée comme une stratégie de prévention possible pour réduire la survenue de la dysménorrhée, le stress pouvant être à l’origine de contractions utérines [16]. Les exercices physiques doivent également être encouragés pour diminuer la symptomatolo- gie des dysménorrhées [7].
Contrairement à la stimulation nerveuse électrique transcutanée (TENS) à basse fréquence, la TENS à haute fréquence offre un soulagement de la douleur occasion- née par la dysménorrhée plus efficace que le placebo. Elle peut donc être considérée comme un traitement sup- plémentaire pour les femmes qui ne peuvent tolérer la médication, et est recommandée par la SOGC [17]. En revanche, l’indisponibilité de ce traitement dans la plupart des centres de soins en Afrique ne nous permet pas de le considérer comme une alternative valable.
Recommandation # 14 — Accord professionnel relatif Compte-tenu de l’impact physique et social des dysménorrhées essentielles et de l’absentéisme qui en découle, une approche spécifique devrait être mise en
place par les services de santé scolaires.
Les services de santé dans les écoles devraient priori- ser des mesures pour atténuer l’impact social et physique des troubles menstruels chez les jeunes femmes au vu du nombre significativement élevé des manquements aux acti- vités scolaires et sociales [18—21]. Les infirmières ont un rôle prépondérant dans cette démarche de conseil et de prise en charge [22].
Conclusion
La dysménorrhée est une pathologie difficile à maîtri- ser rendant sa prise en charge disparate malgré quelques recommandations émises dans les pays développés. Les recommandations africaines de la prise en charge de la dysménorrhée cadrent bien avec la réalité locale et les contraintes budgétaires, permettant l’homogénéisation de la pratique médicale dans ce domaine.
État des connaissances actuelles sur le sujet
• La prévalence des dysménorrhées est élevée dans les pays africains;
• absence de consensus sur la prise en charge des dysmé-
norrhées en Afrique.
Contribution de notre étude à la connaissance
• État des lieux sur les données épidémiologiques en
Afrique;
• recommandations sur la prise en charge de la dysménor-rhée, adaptées aux conditions en Afrique (en fonction de la disponibilité des traitements et de l’accès aux soins).
Contribution des auteurs
Tous les auteurs ont contribué à la conduite de ce travail. Tous les auteurs déclarent également avoir lu et approuvé la version finale du manuscrit.
Remerciements
Ces travaux ont été réalisés avec le soutien institutionnel de
Sanofi—Aventis Groupe.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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